Le capitalisme de pénuries - L’édito JUSTICE du 12 juillet 2022

C’est en échangeant avec une militante d’Extinction Rebellion que m’est venue l’idée de cette newsletter spéciale, qui l’est d’autant plus que voilà plusieurs semaines que vous n’avez pas reçu cette petite lettre d’information qui, j’en suis sûre, vous aura manqué ! Même en matière de newsletters, nous ne sommes pas toujours maîtres du temps, ni maîtres de rien d’ailleurs et l’actualité ne cesse de nous le rappeler : qu’on le veuille ou non, les lois de la nature s’imposent désormais de manière évidente aux lois de l’économie. C’est l’objet de cette lettre d’information, au format un peu différent de celui auquel vous êtes habitué.e.s.

Nous entrons dans un nouvel âge du capitalisme : le capitalisme de pénurie. Le terme est sur toutes les lèvres. Il a d’abord inquiété à Noël et pour les cadeaux d’anniversaire, avant de se distiller partout, jusque dans les biens de consommation les plus ordinaires... et est -évidemment !- accompagné de l’inflation. J’ai la certitude qu’il ne s’agit pas que d’un hasard de l’histoire, ou d’un épisode logistique à surmonter suite à la pandémie du Covid19, mais bien de la fin du capitalisme tel que nous l’avons jusque-là connu.

Le système se mange la queue. La prédation toujours croissante sur les ressources inhérente -bien que non limité- au capitalisme a créé les conditions de sa propre destruction. Nous avons cette année dépassé 6 des 9 limites planétaires. À force d’accaparer, d’extraire, et de piller les « ressources », les sociétés capitalistes ont détruit la nature : les sols s’appauvrissent, l’eau disparaît, des espèces sont éradiquées, les épisodes météorologiques extrêmes rendent des espaces entiers de la planète quasi invivables pour l’être humain et/ou saccagent des villes entières ; sans même parler des activités industrielles et économiques qui pâtissent elles aussi de cette dégradation à vitesse grand V des conditions de vie sur Terre.

Le système économique mondial est aussi malade de sa fragilité intrinsèque. Voilà déjà longtemps que Bruno Latour évoque les porte-conteneurs comme le symbole de la mondialisation. Et ceux-ci ont de plus en plus de mal à circuler. Les pandémies zoonotiques, le surgissement de nouvelles guerres et tensions diplomatiques ainsi que leur extension dans la « nouvelle frontière de l’Humanité » que sont les océans, bouleversent les chaines logistiques mondiales tandis qu’un nombre croissant de pays des Suds refusent et retournent à l’envoyeur les paquebots transportant les déchets occidentaux. La hausse des prix elle aussi s’avère problématique pour le capitalisme, puisqu’elle réduit les perspectives de consommation des classes émergentes partout autour de la planète ; or, l’accumulation du capital peut reposer sur la consommation des plus riches, mais jusqu’à un certain point seulement.

Le fait est que le capitalisme ne sait pas se contenir : il crée le manque là où les besoins sont essentiels, mais ne sait faire cesser la profusion d’activités toxiques... Un exemple : les énergies fossiles. Quelques-uns ont alerté sur un pic pétrolier qui engendrerait au début des années 2000 l’effondrement de nos sociétés. Ils se sont trompés. Il reste encore suffisamment d’énergies fossiles dans les sols pour mettre littéralement feu à l’ensemble de la planète. Et faute d’en avoir prévu la sortie, les tensions actuelles sur le charbon, le gaz et le pétrole, pèsent aujourd’hui très lourdement sur les porte-monnaie. Ces pénuries-là, le capitalisme semble bien en peine pour les organiser : la consommation mondiale d’énergie ne cesse de croître. C’est d’un reboot complet du système dont nous avons besoin.

Ce n’est malheureusement pas ce qui se présente en France pour les (peut-être) cinq années à venir. J’espère que malgré le lourd constat exposé ici, les quelques nouvelles du monde contenues dans la suite de cette lettre d’information vous nourriront, et vous donneront forces et arguments complémentaires pour arracher de nombreuses victoires pour le vivant et la justice pendant le quinquennat qui s’ouvre, et montrer qu’un autre monde est possible. Les basculements observables partout autour de la planète peuvent amplifier la guerre de tous contre chacun, ou au contraire créer les conditions d’un sursaut pour un monde humain en harmonie avec le vivant. Puisse cette dernière option l’emporter !

Bonne lecture, et bel été !

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