Trois questions à... Christian Lehmann, médecin et écrivain
Christian Lehmann est médecin généraliste et écrivain. Auteur de romans pour la jeunesse, il a également publié plusieurs ouvrages dans lesquels il critique l'organisation du système de santé en France. Depuis mars 2020, il tient dans Libération un Journal de Pandémie sur le Covid19 dont un recueil, "Tenir la ligne", a été publié au printemps 2022 par les Éditions de l'Olivier.
Comment expliquer les déserts médicaux ?
Il y a deux explications principales. L’une est arithmétique: il y a moins de médecins et une population vieillissante. L’autre est éminemment politique. D’une part parce qu’on a sciemment détruit la médecine générale avec un modèle hospitalocentré où l’on a fait passer les généralistes pour des parasites tout juste bons à gérer les gastros et les rhumes et à gréver le budget de la sécu. D’autre part avec un abandon des territoires par l’Etat qui fait qu’un médecin installé en zone rurale tout seul, sans même un radiologue ou un biologiste à proximité, est jeté en pleine nature et que son métier est rendu infaisable. Donc il ne le fait plus.
Faut-il recourir à des mesures coercitives pour que les médecins s'installent dans les déserts médicaux ?
Ça ne sert à rien. Les mesures coercitives feront juste fuir les médecins, qui préfèreront aller à l’étranger ou bosser comme salariés dans un centre de santé. La médecine est une vocation mais elle ne doit pas être un sacerdoce. On enferme les médecins dans un destin sacrificiel et quand ils le refusent on les accuse d’être égoïstes parce qu’il ne veulent pas travailler 24h/24 et 365 jours par an. On les culpabilise en disant que l’Etat leur a payé leurs études. Ce qu’on oublie de dire c’est que pendant les 10 ans de leurs études, l’hôpital tient grâce à eux et notamment aux internes. Si l’Etat devait les payer, cela lui coûterait très cher.
Dans ce cas, quelles solutions pour y remédier ?
Les dix prochaines années vont voir les difficultés d'accès aux soins s'aggraver. Le seul moyen d'y remédier est de reconstruire un vrai contrat avec la médecine de ville, afin de permettre aux médecins généralistes et spécialistes en exercice, et à celles et ceux qui fuient actuellement cet exercice rendu de plus en plus difficile par les exigences administratives et la défiance des tutelles, de travailler dans des conditions décentes. Ce qui implique, de fait, une vraie politique de réaménagement du territoire. Vous comprendrez que je ne sois guère optimiste, dans un pays où la politique de santé publique, face à l'effondrement du système, comme face au covid, est de faire semblant en accumulant des éléments de langage.