Faire mieux - L’édito Justice du 19 avril 2023

Alors que le président Macron a choisi jusqu'au bout le passage en force pour imposer sa réforme des retraites, et tente de tourner la page, nous devons regarder en face notre faiblesse politique. Si les forces syndicales ont montré leur utilité dans la période, les forces politiques qui composent la Nupes ont révélé leur fragilité.

Un spectre hante la gauche et les écologistes. Celui de Jean-Luc Mélenchon. Son seul nom constitue le point d'achoppement de toute discussion sur les perspectives d'avenir pour notre camp. Ira, ou ira pas en 2027 ? Il semble être le point incontournable de toute stratégie politique. Comme si de fonctionner nos cerveaux politiques devaient s'arrêter dès qu'on parle de lui. L'émotion qu'il déclenche est un passeport pour la mauvaise foi. Les uns l'exècrent et ne lui passent rien. Les autres l'adulent et lui cèdent tout. Double impasse. Il n'est pas une statue dont le piédestal serait inviolable ou un gourou dont les affirmations seraient incontestables. Je propose de laïciser le rapport à Jean-Luc Mélenchon. Il est un responsable politique, important, qui depuis longtemps est au premier rang de nos combats. Par trois fois déjà il a échoué à remporter l'élection présidentielle. Est-il disqualifié pour autant ? Je ne le pense pas. Est-il en situation de remporter l'élection ? Se poser la question en ces termes, c'est prendre le problème à l'envers et mettre la charrue de l'incarnation avant les bœufs de la construction politique. Nous ne devons pas raisonner ainsi. Jean-Luc Mélenchon n'occupe que la place que nous lui laissons prendre. Je dis à celles et ceux qui veulent absolument se passer de lui : sa force est faite de vos faiblesses. Votre obsession le construit. Et si j'osais un argument de psychologie de comptoir, votre haine le nourrit.

Je propose donc un autre chemin. Celui de la construction collective d'un mouvement de la société qui génère autre chose que la caporalisation de nos destinées politiques. La question politique est la suivante : quelle dynamique sociale peut porter au pouvoir une alternative au macronisme et au Rassemblement National?

A ce stade, pour dire les choses, la NUPES dans son ensemble (ni aucune de ses composantes), qui est au diapason du mouvement, n'enregistre pas de bénéfice notable dans l'opinion. Pire, au lieu d'être en dynamique, la NUPES semble être davantage dans une phase de décomposition que de recomposition. La sociale démocratie, représentée par le PS et ses dérivés n'en finit pas de s'écharper sur sa stratégie politique. Elle est divisée profondément, et à mon sens durablement. Le parti communiste cultive un revival identitaire où il se plait à retrouver de la voix mais sans étendre son influence. Dans le rôle du punchliner, Fabien Roussel, le communiste préféré du Figaro, remporte un succès d'estime mais à quel prix ? Je crains qu'il ne regarde l'avenir dans un rétroviseur et il m'est avis que l'idée communiste mérite mieux qu'une nostalgie ensorcelée. La France Insoumise est, elle, confrontée à l'embarrassant leadership de son fondateur mais aussi et d'abord à une question plus structurante : pourquoi la colère sociale qui gronde ne vient-elle pas gonfler son capital politique ? Et comment dépasser le plafond de verre qui la touche ?

 

Pour EELV, la question se pose différemment : nous sommes forts localement et avons remporté de vrais succès dans les villes, dans lesquelles nos maires conduisent la transition écologique urbaine dont nos villes ont besoin. Mais nationalement, notre Présidentielle fut un échec, que l'habileté de l'accord électoral au sein de la NUPES ne saurait effacer. Notre nouvelle Secrétaire Nationale a donc plus de travaux et moins de moyens qu'Hercule pour nous permettre de nous redresser. Nous devons tout faire pour l'aider. J'entends déjà de bonnes âmes dire à mi-voix que la solution pour 2027 est de ne pas présenter de candidate ou de candidat, et de nous placer derrière… François Ruffin. Je ne peux m'empêcher d'y voir un réflexe hérité de temps anciens, où une écologie complexée ne pouvait se penser que sous la tutelle d'une autre force..

Nous avons, je l'espère, passé ce cap. Faire des conjectures sur le nom du candidat que nous devrions impérativement rallier me pose au moins deux problèmes. Premièrement c'est théoriser notre faiblesse et deuxièmement, c'est commencer par la fin : le nom du candidat et la tambouille de l'alliance, plutôt que la réflexion sur nos utilités respectives dans le moment politique que nous traversons. Notre travail est autre. Chacune des formations de la NUPES doit être capable de répondre positivement aux interrogations qui la touchent. Et d'engager avec le pays un pas de deux convaincant. Sur les seules bases électorales de la NUPES, nous sommes minoritaires. Il nous faut donc nous élargir. Dans cette perspective nos formations sont à la fois alliées et concurrentes. C'est ainsi. À nous de redoubler d'intelligence. Nos meetings communs contre la réforme des retraites démontrent assez que nous savons converger sans nier nos différences. Les Européennes montreront peut-être que nous savons diverger sans exacerber nos différents. Mais l'échéance est encore lointaine.

 

J'en reviens à Jean-Luc Mélenchon. Pour conclure. Au soir de la dernière élection présidentielle, il lançait, bravache, une phrase qui résume la difficulté du combat en cours : "faites mieux". Certains y voyaient un passage de relais. La suite des évènements a prouvé qu'il s'agissait davantage d'une mise au défi, et que celui qui le lançait est persuadé au fond que nul autre que lui n'est capable de le relever. Pour autant, l'objectif fixé est valide. Il est même le seul qui vaille. Si nous ne parvenons pas à faire mieux le pire est devant nous. La mue autocratique du pouvoir en place, sa folie libérale, son obsession nucléariste, l'arrogance de classe et la violence sociale dont il est porteur, les dérives de son ministre de l'Intérieur qui pavent la voie du triomphe culturel de l'extrême droite, sont autant de signes d'un présent de douleur et d'un avenir de désastres plus grands encore, dont l'élection de Marine Le Pen pourrait être le point culminant. Nous devons donc être davantage préoccupés du sort de notre société que du nombril de la NUPES. Une gauche qui parle du peuple sans lui parler et des écologistes qui parlent du vivant sans l'embrasser ne seront d'aucune utilité.

Précédent
Précédent

LA MEUF QUI ASSURE : Daria Serenko

Suivant
Suivant

Lutte contre les écocides : L’avant garde écoféministe