Marine Le Pen peut gagner - L’édito JUSTICE du 13 avril 2022
Le dérèglement climatique, l’effondrement de la biodiversité, la multiplication des nanoparticules qui s’insèrent jusque dans nos veines et se transmettent des mères aux enfants... L’accroissement des inégalités, la perpétuation de la violation des droits humains, la guerre qui secoue à nouveau nos vies. Un nouveau quinquennat perdu. Aussi bas soit notre moral, aussi morne soit l'horizon, le moment n'est pas venu de baisser les bras. Car Marine Le Pen peut gagner. Cette réalité-là écrase toutes les autres.
Une telle situation ne s'est pas construite en un jour : elle est le fruit d'un long renoncement, elle est l'enfant d'un divorce profond entre la gauche et les catégories populaires, elle est la conséquence des promesses trahies et des espoirs déçus, elle est la résultante des alternatives que nous avons échoué à forger.
La campagne du premier tour s'achève et nous laisse amères et décontenancées. Le temps viendra du bilan. Il sera nécessaire. Concernant les écologistes, nous devrons regarder en face les leçons de la campagne et nous demander comment par exemple, nous avons perdu le vote des jeunes. Nous devrons nous interroger sur l'échec d'une écologie normalisée, soudain dévitalisée car vidée de sa charge subversive. La tentation sera de tout mettre sur le dos (large) du candidat. On aurait tort. Je pense que nous devrons nous livrer à un examen plus collectif, sans dépolitiser les questions en les passant au tamis de la seule personnalisation des enjeux. Les nécessités d'une campagne de second tour qui ordonne que l'on se mobilise, demande de différer le temps de cette analyse. Mais qu'on ne nous fasse pas le coup du "circulez y'a rien à voir" quand le moment sera venu. Car recouvrir le bilan d'un linceul de silence reviendrait à mener l'écologie au tombeau.
La responsabilité de la gauche et des écologistes est lourde. Elle n'est pas seulement celle de n’avoir su déjouer les pièges tendus par cette élection présidentielle, mais aussi celle de n’avoir pas été capables, depuis 5 ans, de construire la dynamique politique collective qui nous aurait permis de l’emporter, en embarquant avec nous la société pour transformer en profondeur notre pays.
Marine Le Pen peut gagner. Pendant longtemps pourtant, l'arrivée de l’extrême-droite au pouvoir fut considérée comme impossible. En 2002, j'avais 14 ans. Je me souviens de l'effroi, lorsque Le Pen père parvint au second tour. Je me souviens des "No pasarán" portés en bandoulières et des mains sur le cœur jurant que toutes les leçons seraient tirées. Et puis... rien. Rien de rien. La vie reprit son cours. Élections après élections, le Front National continua à conforter sa place dans le paysage politique et dans les esprits. Aujourd'hui, le travail de dédiabolisation semble achevé. Les éructations surmédiatisées de Zemmour font passer le programme xénophobe de Marine Le Pen pour des miaulements. Longtemps, la France a pensé contre toute réalité être immunisée et échapper au national-populisme qui a porté, dans de nombreux pays, des responsables de l'internationale de la haine au pouvoir. L’extrême-droite est plus que jamais en capacité de remporter l'élection présidentielle, et nous voilà rendu·es au pied du mur.
J’évoquais plus haut la responsabilité qui est la nôtre - celle de la gauche et des écologistes -, je souhaite maintenant appeler celles et ceux qui sont en colère à se mobiliser : car il nous faut comprendre la nature de la menace que représenterait l’accession de Marine Le Pen à la présidence de la République Française.
Le fait est que le vote RN se renforce, se solidifie, partout. Notamment chez les catégories populaires, et, fait plus inquiétant encore tant il assombrit l’avenir, dans la jeunesse. S’y adjoint le vote Zemmour, qui a puisé dans le sentiment de dépossession nourri par un nombre croissant de citoyennes et de citoyens de notre pays. L'humiliation permanente vécue par celles et ceux qui ont été méprisé·es pendant tout le quinquennat est un puissant levier : nombre des délaissé·es ont désormais envie de renvoyer dos à dos Le Pen et Macron.
J’entends et je comprends la désespérance. J’entends et je comprends les appels au vote blanc, ou à l’abstention. Je ne peux que partager la colère envers un pouvoir qui opprime et insulte, ment, écrase ; et semble aujourd’hui une fois de plus et alors que l’heure est grave, mépriser les aspirations exprimées dans les urnes dimanche dernier. Nous ne donnons pas quitus au Président sortant. Rien ne doit affaiblir notre vigilance et notre détermination à lutter sans faille contre la politique qui est la sienne. Mais si l’extrême-droite se hisse aux responsabilités, c’est l’indignité humaine qui gagne et emportera toutes et tous.
Le risque Le Pen est pire que tout. Alors ami·es de tout le pays, tenez bon. Ne laissez pas la colère ou l'indifférence faire le lit du Rassemblement National. Pensez à notre pays, à la honte le lendemain de l'élection. Vous pensez "emmerder" les puissants en laissant Marine le Pen accéder à l’Élysée ? Ce n'est pas en nous frappant nous-mêmes que nous y parviendrons. Les dominants ne trembleront pas et sauront s'arranger avec le nouveau pouvoir. Leur fraternité de classe l'emportera sur toute autre considération.
Pensez aux réfugié·es -dont les mineur·es isolé·es, aux jeunes des quartiers à qui l’on ne promet que la répression, aux gens du voyage, aux habitant·es des bidonvilles, aux militant·es écologistes ou régionalistes déjà surveillé·es et qui risquent de perdre leurs libertés... Pensez aux peuples en lutte autour de la planète qui ne reçoivent déjà que trop peu de soutien de la France, mais n’en recevront plus, du tout ! Pensez à l’Europe, aux allié·es de Marine Le Pen : du gouvernement polonais à Victor Orban, qui pilonnent l’état de droit, portent atteinte aux droits des femmes et harcèlent celles et ceux dont l’orientation sexuelle ne leur revient pas.
Pensez à la planète elle-même, au climat, au vivant, aux décisions à venir qui seront plus violentes encore que celle du Président condamné pour inaction climatique... Aux gilets jaunes et aux adeptes des manifestations déjà réprimées dans la violence : Marine Le Pen souhaite permettre aux gendarmes et aux policiers de bénéficier de la présomption de légitime défense dans le cadre de leurs fonctions... Une carte blanche pour l’impunité, une forme d’incitation à la violence. Aux activistes du climat mobilisé·es contre le projet mené par Total d’EACOP en Ouganda : Marine Le Pen est la garantie d’un soutien sans faille à Museveni comme à tous les dictateurs, en Afrique ou ailleurs. Aux smic-ardes et aux smic-ards : nous pouvons mener le bras de fer avec Emmanuel Macron pour lever les salaires. Mais si les manifestations sont réprimées par une police dont le surmoi républicain aura définitivement disparu, comment pourrons-nous revendiquer sous un mandat Le Pen ?
Bref. La priorité de nos priorités, c’est de faire battre Marine Le Pen le 24 avril prochain. Et de tout reconstruire. Le 24 avril je vote Macron. Le 25 avril, je travaille à lui imposer un rapport de force social et politique suffisant pour entraver ses projets et le contraindre à mener une autre politique.
Je veux dire aussi à celles et ceux qui se refusent à glisser un bulletin Emmanuel Macron dans l’urne que tout n’est pas perdu. Que la gauche et les écologistes vont être obligées d’entendre le message exprimé dimanche dernier. Et que nous sommes un certain nombre à vouloir secouer les organisations et les habitudes qui nous ont conduit dans une impasse. Nous devons garder espoir, et agir avec détermination. Car les élections législatives ne sont pas perdues. Et que nous pouvons y figurer avec honneur et utilité. Le total des forces écologistes et de gauche au premier tour, et il faut le reconnaître la capacité de Jean-Luc Mélenchon et de la France Insoumise à faire voter les outre-mer, les quartiers populaires et la jeunesse plus sujets que d’autres à l’abstention, montre que de nombreuses circonscriptions sont gagnables, y compris parmi celles que nous imaginions imprenables. Alors retroussons-nous les manches. Pour le second tour de l’élection présidentielle, pour les législatives, et pour les 5 ans à venir : mobilisons-nous.
Marine Le Pen peut gagner ? C'est vrai. Mais nous pouvons encore la battre.