Refuser la réforme du lycée professionnel : un devoir civique - L’édito Justice du 23 novembre 2022
Lisez cet édito jusqu'au bout. Il sera bref pour en faciliter l'appropriation. Cette livraison de "Justice" parlera de la question de la pauvreté et plus généralement des inégalités. Elle ne sera bien évidemment pas assez longue pour embrasser la multiplicité des fronts de luttes nécessaires. Je m'en excuse : on sème à la volée, en espérant que germent les graines du refus de l'ordre inique du monde.
A quoi sert cette newsletter ? Pas uniquement à marquer un territoire politique et à relater mes combats parlementaires, ou mes engagements d'activiste mais également à donner, parfois, un écho aux éclats du monde qui ne parviennent guère à percer les filtres médiatiques qui opèrent entre nos consciences et la réalité du monde. Je veux donc ici, en dénonçant le projet de réforme de l'enseignement professionnel fomenté par le gouvernement, parler de la fabrique des inégalités et du nouvel engrenage que l'on veut ajouter à la roue qui écrase les plus modestes.
De quoi est-il question? D'un projet de réforme qui reprend les projets les plus anciens du libéralisme le plus obtus. Centre névralgique de cette réforme dénoncée par les organisations syndicales du monde scolaire, l'augmentation des heures de stage au détriment des heures d'enseignement. L'argument est le suivant : puisqu'ils sont dans l'enseignement professionnel, les élèves (futures travailleuses et travailleurs) doivent se rapprocher le plus possible du monde de l'entreprise et passer le plus de temps possible en stage. Décryptage de l'imaginaire qui sous-tend un tel raisonnement : ils n'auront guère besoin du bagage que leur délivre l'enseignement. Seul est bon pour eux le concret de l'entreprise. D'ailleurs, seules les entreprises savent en réalité de quoi elles ont besoin. Donc rapprochons l'enseignement professionnel des bassins d'emplois, autre pilier de la réforme (et tant pis si le cadre national des diplômes et l'égalité de toutes et tous devant l'éducation explosent au passage). La main invisible du marché saura pourvoir à la formation de celles et ceux dont elle a besoin pour exercer - soyons honnêtes - des emplois à faible valeur ajoutée. Et ainsi de suite.
Toute cette réforme s’appuie sur des illusions du même tonneau. Les « meilleures » intentions affichées par le gouvernement pavent le chemin de l'enfer des discriminations éducatives. Aux uns, les filières d'excellence. Aux autres, un enseignement professionnel de seconde zone. C'est déjà le cas me direz-vous? Je n'ai pas de naïveté sur les inégalités sociales et leur construction, qui est tout sauf le fruit de la fatalité. Mais c'est précisément ce à quoi nous devons refuser de consentir. Ayons le courage de le dire: nous faisons l'impasse sur l'avenir d'une partie de la jeunesse scolarisée.
On a beaucoup parlé des jeunes activistes qui s'en prennent à des oeuvres d'art. On sait dénoncer la jeunesse qui dérange. Mais le silence sur le sort réservé à la jeunesse est d'or, et devient de plomb quand il s'agit de la jeunesse d'extraction populaire. La réforme de l'enseignement professionnel fait partie de ces sujets qui engagent notre avenir commun, mais qui ne mobilisent guère.
L'enseignement professionnel regroupe une jeunesse qu'on trouve peu dans les manifestations de la génération climat, qui ne hante pas les rangs des écologistes en particulier et pas davantage ceux des autres formations politiques en général. Les élèves qui y étudient ont ils le droit à un enseignement de qualité? Mille fois oui.
Je ne suis pas une spécialiste des questions éducatives. Mais entendons les voix enseignantes qui défendent pied à pied, non pas comme on veut nous le faire croire uniquement leur statut, non pas seulement leurs fiches de paie, mais une certaine idée de notre pays et de la manière dont nous voulons y vivre. Car voyez-vous, ce qui échappe aux partisans de cette tragique réforme, c'est que l'enseignement professionnel ne forme pas que de la main d'oeuvre. Il forme aussi des citoyennes et des citoyens. Nous avons besoin que leur enseignement les ouvre sur le monde. C'est ainsi que l'école émancipe: par la transmission des savoirs, des savoir-faire et des savoir-être. Pouvoir s'adapter dans un monde en mutation permanente demande autre chose que des formations au rabais, indexées sur les seuls besoins immédiats du monde de l'entreprise. Ayons l’ambition de donner à la jeunesse de l'enseignement professionnel des armes qui les accompagneront leur vie durant.
Les matières supprimées, les heures amputées déboucheront fatalement sur des consciences emprisonnées dans le carcan des déterminismes sociaux que la République devrait combattre. Voilà une raison, parmi d'autres, nombreuses, qui explique pourquoi combattre la réforme de l'enseignement professionnel telle que portée par le gouvernement, est un devoir civique.