S’adapter ? - L’édito Justice du 7 septembre 2023
L’été 2023 fut le plus chaud jamais mesuré. Et peut-être le plus frais des prochaines décennies. Dans la foulée de la publication de ces chiffres par l’observatoire européen Copernicus, le secrétaire général des Nations unies Antonio Guterres a lâché cette phrase comme un couperet : « L’effondrement climatique a commencé ». Et d’ajouter « Notre climat implose plus vite que nous ne pouvons y faire face ». Selon une étude parue en 2021 dans The Lancet Planetary Health, 5 millions de personnes mourront chaque année en raison du changement climatique, tandis que près de 10 % des décès dans le monde peuvent d’ores et déjà être attribués à des températures anormalement chaudes ou froides.
Dans trois mois, se tiendra la COP28 de Dubaï (Dubaï !). S’y annonce une âpre bataille sur la sortie des énergies fossiles, lors d’une Conférence présidée par un magnat des fossiles, ce qui semble ne gêner personne... Car faire face commence aussi par ça et nous sommes en retard. Le journaliste britannique du Guardian Georges Monbiot a récemment écrit que les chaleurs excessives et dangereuses deviendraient bientôt la norme. Il en appelle à des « mesures immédiates et globales », en somme: systémiques.
Nous sommes systémiquement inadaptés au nouveau régime climatique. En juin dernier, sur tout le territoire, les professeurs des écoles ont fait remonter des cas d’enfants étourdis par la chaleurs, saignant du nez dans des classes à 30 voire parfois 35°C. Au moins huit écoles, collèges et lycées sur dix devront être rénovés dans les années à venir pour assurer une isolation digne de ce nom. Au CHU de Bordeaux, un père a dû acheter lui-même un climatiseur mobile à 400€ parce que la température de la chambre de son enfant hospitalisé atteignait les 37°C. Dans le même établissement 44°C ont été relevés sur une passerelle vitrée. Enfin, les syndicats comme la CGT réclament une adaptation du droit du travail aux pics de chaleurs. Non, nous ne sommes pas à la hauteur.
Et tandis que nous regardons brûler la planète sans nous attaquer aux causes, tandis que le pétrole et le charbon consumés aujourd’hui condamnent à mort des millions d’humains et détruisent le vivant, tandis que la Première ministre française Elisabeth Borne et son ministre de l’Éducation Gabriel Attal embarquent dans un Falcon pour un vol Paris-Rennes de 38 minutes, tandis que la même semaine un lycée de Mayotte ferme ses portes pour cause de sécheresse et de coupures d’eau, résonne çà et là une petite musique qui voudrait nous faire acheter l’idée qu’il faudra bien s’y faire et s’adapter.
Hélas, l’adaptation dont il s’agit là ne relève pas de la révolution et du changement total de paradigme dont nous avons pourtant besoin. Cette permanente injonction à l’adaptation, formidablement bien décrite par la philosophe Barbara Stiegler dans son essai « Il faut s’adapter », est un avatar de l’ultra libéralisme et signe un refus obstiné d’abandonner l’idée d’une croissance infinie sur une planète finie. La stabilité de notre terre est menacée précisément par ceux-là qui enjoignent à l’adaptation. Cela revient à préférer la climatisation à la planification écologique, à investir dans l’aviation à énergie solaire plutôt que de réfléchir à la sobriété, à abandonner aux industriels le réchauffement climatique comme s’il s’agissait d’une part de marché.
L’adaptation est indispensable pour que le dérèglement climatique causé par les plus riches ne viennent pas encore et encore frapper les plus pauvres et les moins responsables de l’anthropocène. Mais l’adaptation seulement, c’est le voile du renoncement, l’alibi ambigu qui permet de refuser l’obstacle et de faire l’économie d’une politique de prévention du risque climatique. En d’autres termes, plutôt que de dépenser de l’argent à éviter globalement des risques globaux, gagnons de l’argent en traitant localement des effets locaux.
Et quand l’Europe entière se fait l’écho d’Emmanuel Macron requérant une « pause », nous répondons qu’il est en effet urgent de mettre en pause définitive la destruction de la seule planète que nous ayons. En somme : de hisser au sommet de la hiérarchie de nos normes morales et légales la protection du vivant. Il est grand temps.