Trois questions à... Thierry Ribault, chercheur en sciences sociales au CNRS
Auteur d’un livre intitulé « Contre la résilience à Fukushima et ailleurs » Thierry Ribault est chercheur en sciences sociales au Clersé-CNRS-Université de Lille. Il voit, dans l’apologie de la résilience, vantée partout y compris dans le titre de la loi « Climat et résilience », une invitation à évacuer l’anxiété pour mieux se préparer au pire plutôt que se révolter contre ses causes.
La peur serait-elle un instrument politique ?
Nous sommes plongés dans une dissonance cognitive paralysante : il faut simultanément avoir peur et cesser d’avoir peur, évacuer l’anxiété pour mieux se préparer au pire plutôt que se révolter contre ses causes. La peur est devenue le symptôme d’une maladie de l’inadaptation que la résilience est censée soigner. Or elle est un moment indispensable à la prise de conscience des causes qui nous amènent à l’éprouver, et peut stimuler en nous la colère et la nécessité de bouleverser un capitalisme qui se nourrit du désastre qu’il génère. Face à ceux qui prétendent nous protéger de la peur, nous devons défendre notre liberté d’avoir peur. L’éco-anxieux est un dissident que l’on traite comme un malade.
Vous dites que l’idée de résilience est despotique, notamment sur les questions environnementales: pourquoi ?
La résilience appelle chacun à être résistant sans opposer de résistance. Elle est despotique car c’est une technologie du consentement. Sa finalité est d’amener les populations en situation de désastre à consentir à de prétendus remèdes (le nucléaire face au réchauffement climatique, les politiques bio-sécuritaires type abattages massifs de cheptels face à la prolifération des virus) sans jamais questionner les causes : techno-capitalisme débridé, urbanisation sans limite, modèle de la ferme industrielle. Nous menant ainsi à de nouvelles catastrophes.
N’y a-t-il pas un risque de se voir traités de marchands d’apocalypse ?
Ce sont les résiliothérapeuthes et leurs cousins collapsologues qui font commerce de l’apocalypse, car ils font du malheur un mérite. Leur coup de force est de soutenir que la catastrophe n’est pas ce qui survient, mais l’impréparation individuelle et collective à ce qui survient, rendant ainsi les victimes coupables en les amenant à cogérer les dégâts. Ils perpétuent l’existant, alors qu’il faut empêcher les catastrophes d’advenir.