Des fleurs contre des clous - L’édito JUSTICE du 18 février 2021
C’est peut-être la plus grande manifestation de l’histoire de l’humanité. Ils et elles n’étaient pas des milliers, ni des centaines de milliers, mais 250 millions mobilisé·es pour une grève massive.
Travailleur·euses et paysan·es indien·nes (50% de la population du pays) demandent depuis le mois de novembre l’abrogation des lois promulguées en septembre qui visent à déréglementer le secteur agricole, notamment via le Farmers’ Produce and Commerce Bill, qui permet aux entreprises de négocier le prix des récoltes directement avec les petits agriculteurs. Une menace sur le système de prix minimal garanti par l’Etat sur vingt-trois produits de première nécessité, comme le blé ou le riz, mis en place lors de la « révolution verte » à la fin des années 1960.
Une révolution qui n’avait de verte que le nom et s’est traduite par des pratiques agricoles non durables: surexploitation des terres, empoisonnement des sols à grands coups de pesticides, assèchement des rivières du Pendjab. Pris·es au piège par les propriétaires de semences, premier·es exposé·es aux impacts du dérèglement climatique qui assèche plus encore les sols et modifie les cultures, les paysan·es indien·es se battent contre la destruction du dernier filet de sécurité qu'il leur reste : des prix garantis. Alors que le spectre de la famine plane à nouveau sur ce pays déjà très touché par la covid, c'est d'une révolution environnementale et sociale dont l'Inde aurait besoin, plutôt que d'une nouvelle attaque des libéraux prédateurs.
Derrière ces réformes, un homme : Narendra Modi, premier ministre indien à qui l’on trouve volontiers des petits airs de Bolsonaro : mépris affiché de la démocratie, stigmatisation d’une partie de sa population, casse sociale. Il ne se contente pas d’arrêter, d’enfermer, ou de taire les manifestant·es à coups de balle réelles : il s’attaque aussi aux libertés publiques, coupe internet pour limiter les communications, s’en prend aux étrangers qui osent exprimer leur soutien aux manifestants, et aux jeunes femmes.
Sans doute serait-il juste ridicule s’il n’était pas aussi dangereux. Car après avoir accusé de conspiration Greta Thunberg et Rihanna, qui ont simplement affiché leur soutien aux paysan·nes indien·es sur les réseaux sociaux, Modi s’en est pris à Disha Ravi, fondatrice des Fridays For Future India, 21 ans, et arrêtée pour « sédition » après à la publication d’un simple tweet dans lequel elle donnait des conseils militants pour soutenir les agriculteur·ices.
Mais Disha Ravi, Ridhima Pandey, Vandana Shiva, travailleur·euses et paysan·nes indien·nes savent que rien ne s’obtient sans détermination, sans ingéniosité et sans poésie. Ils et elles marchent dans les pas de l’histoire indienne et des révolutions pacifistes. Face aux planches de clous disposées à l’entrée des villes pour empêcher les paysan·nes d’y pénétrer, ces derniers ont choisi de planter des fleurs. Comme Jan Rose Kasmir et son chrysanthème devant les baïonnettes des soldats en 1976. Comme les œillets au Portugal en 1974. Contre les fusils, contre les armes, contre les clous: les fleurs.
Free Disha Ravi, et solidarité avec les fermier·es indien·nes !