Pourquoi nous demandons un Traité environnemental européen - L’édito JUSTICE du 28 avril 2021
Le droit ne règle pas tout. Mais il détermine toujours le champs des possibles. Le faire bouger n’est jamais neutre. Voilà pourquoi, pour sauver le climat, notre vigilance et notre engagement se portent sur les nécessaires évolutions juridiques à apporter pour protéger la planète, en garantissant le respect des droits humains et la protection de l’environnement... Nous menons bataille.
En France, 2,3 millions de citoyen·nes ont remporté l’Affaire du siècle, demandant à l’État de respecter ses propres lois climatiques et budgets carbone. En Irlande, une association a convaincu la justice d’enjoindre au gouvernement de préciser la trajectoire qu’il souhaite emprunter pour tenir ses objectifs à horizon 2050. Aux Pays-Bas, Urgenda avait obtenu le réhaussement des objectifs climat de sorte à protéger les droits humains. On eût pu croire que l’Union européenne tienne compte de l’aspiration croissante des citoyen·nes à la préservation du climat, et à ces décisions de justice, dans le cadre de l’adoption de la loi climat européenne.
Il n’en est rien. En dépit du bon sens, les objectifs adoptés le 21 avril dernier sont bien en-deçà de ce qu’il nous faudrait réaliser pour respecter l’Accord de Paris. Selon les scientifiques, la cible à viser d’ici 2030 est de 65% de réduction d’émissions de gaz à effet de serre. L’Union n’aura retenu que le chiffre de 52,8%. Autant dire que nous sommes loin de tout faire pour limiter le réchauffement à moins de 2°C.
Pire l’Union ne se donne aucun outil pour atteindre ces objectifs. On connaissait déjà la faiblesse des montants consacrés à la transition écologique : malgré les plans de relance, les sommes mises sur la table ne permettent pas d’effectuer la transition.
Avec la loi climat, l’Union vient d’enfoncer le clou du renoncement. D’une part, l’objectif est fixé pour l’Union entière sans cibles pour chaque état-membre. D’autre part, aucune disposition n’y a été intégrée visant à protéger nos politiques climatiques de la soif des multinationales qui n’hésitent pas à porter plainte contre les États souhaitant sortir aujourd’hui du charbon, demain du pétrole et du gaz. Enfin, nulle disposition permettant l’accès par les citoyennes et citoyens à la justice pour vérifier, garantir et contraindre l’atteinte de ces objectifs par l’Union et ses États-membres n’est prévue -charge aux défenseuses et défenseurs du climat de se débrouiller par leurs propres moyens. Le cumul de tous les manques que je viens d’énumérer n’annoncent rien de bon. Nous nous dirigeons vers un Waterloo climatique. Les dirigeant·es européen·nes semblent ne pas comprendre le prix d’une telle défaite.
L’Europe fait fausse route. Faute de savoir créer des règles contraignantes, elle fait à nouveau le choix du marché. Le transport routier et le secteur du bâtiment seront intégrés au marché carbone européen ; tandis que l’ouverture d’un grand marché de compensation biodiversité se prépare, sans que ces solutions n’aient jamais prouvé leur efficacité. Des options bien en ligne avec les choix gouvernementaux d’Emmanuel Macron, qui multiplie les tours de prestidigitation pour faire passer les compromis favorables au pouvoir financier et aux lobbies pour des victoires écologiques.
Nous n’avons pourtant pas le temps d’attendre ; et pas davantage le droit de perdre la bataille climatique, l’enjeu central de cette décennie. Tout céder au bon vouloir de la finance et du marché ne préserve pas le vivant. Les choses doivent changer. Nous avons donc besoin de majorités écologistes en Allemagne cet automne et en France en 2022 pour transformer en profondeur le modèle économique et climatique européen, accroître l’ambition des législations à venir, dégager l’investissement public et privé nécessaires à la transition. Nous devons aussi nous saisir de la nouvelle présidence Biden pour, plutôt que confier au Medef le soin de rédiger nos positions, faire prendre un tournant à 180° au partenariat transatlantique pour garantir l’action pour le climat et la justice fiscale et sociale. Aujourd'hui, le vivant est l’éternel sacrifié des nombreuses crises que traversent l’Union, et de négociations interinstitutionnelles cherchant d’abord et avant tout un bon équilibre pour les intérêts privés et nationaux.
Nous avons aussi besoin de nouvelles règles fondamentales. J’en reviens à la question juridique. En France, le collectif Notre Constitution Écologique porte la proposition que nous avions lancée en 2017 d’une réforme constitutionnelle pour une République écologique. Nous nous en félicitons et agissons de concert pour que la République écologique devienne une réalité. Mais le climat ne peut faire l’économie d’une transformation des règles du jeu européennes.
Nous le disions déjà lors des élections qui m’ont conduites au Parlement : un Traité environnemental européen est essentiel et urgent pour faire en sorte que toutes les politiques menées visent à répondre à l’urgence écologique. Il nous faut remettre l’intérêt général, celui du vivant, des générations futures, et des droits humains, au sommet des priorités, et donc de la hiérarchie des normes européennes. Plutôt que de converger vers la limitation des dépenses publiques, nous pouvons décider de converger vers la préservation du vivant dont nous reconnaîtrions la valeur intrinsèque. Placer le climat, la biodiversité, les limites planétaires comme les boussoles d’une Union européenne ayant retrouvé ses valeurs, sa rationalité et sa puissance d’action. Il est temps.