Qui veut gagner des milliards ? - L’édito JUSTICE du 14 février 2022
Total annoncera ce 10 février des bénéfices records. Alors que la firme avait déjà multiplié ses profits par 23 au troisième trimestre par rapport à 2020, elle devrait afficher un résultat net d’environ 15 milliards d’euros, le plus élevé jamais réalisé par une entreprise française. Pendant ce temps, les prix de l’énergie et du carburant s’envolent et 60% des Français·es reconnaissent baisser leur chauffage pour des raisons économiques.
Pas de quoi empêcher Patrick Pouyanné de dormir sur ses deux oreilles. Lui, repeint tout en vert, vante la semaine de quatre jours, dit comprendre Greta Thunberg. Son arme fatale contre les émissions de gaz à effet de serre du groupe qui s’élèvent à 488 millions de tonnes par an ? Un budget de 52 millions de dollars consacré à l’image « climatique » (soit 29 % des sommes allouées à la communication).
Ça porte un nom: le greenwashing. Total est devenu Total Energies pour laisser imaginer que le pétrolier se diversifie et mise sur les énergies propres. En réalité, l’année 2018 seuls 1,9% des investissements bruts totaux étaient consacrées aux renouvelables et le groupe poursuit aujourd’hui ses projets climaticides. Des exemples? L’oléoduc géant et chauffé à 50°C EACOP qui traversera l’Ouganda et la Tanzanie sur 1 445 kilomètres pour transporter du pétrole ; le projet de gaz de schiste Vaca Muerta, dans la province de Neuquén en Argentine ; ou encore le méga-projet gazier Ichthys dans le nord de l’Australie, dont Pouyanné prétend qu'il est "neutre en carbone" alors même que les experts internationaux demandent à sortir du torchage, cette pratique extrêmement polluante.
Le géant serait-il aux pieds d'argile ? La semaine dernière, la firme a annoncé qu'elle abandonnait son projet d'installation sur le site de Polytechnique. C'est la victoire de nombre d'etudiantes et d'étudiants ayant mené un bras de fer considérable pour ne pas confier leur avenir à la première pollueuse française. Mais polluer, ça rapporte. Alors Pouyanne promet la réduction du temps de travail, finance l'entreprenariat féminin en Ouganda pour mieux cacher le déplacement de milliers de personnes le long de son oléoduc auquel s'opposent... des jeunes femmes, ou finance un ensemble de musique classique d'un bidonville d'Afrique du Sud pour mieux cacher l'exploitation prévue de gisements gaziers au large du pays. Le géant est confronté à la détermination de la jeunesse pour protéger le climat, mais l'argent autorise tout.
TotalEnergies annoncera ses bénéfices records le 10 février. Ce jour-là, un délai supplémentaire d’un an devrait être accordé à la publicité sur le gaz, que la loi « climat et résilience » prévoyait d’interdire. Une illustration parfaite de la puissance des lobbies et de la politique (anti)climatique du gouvernement. Ce jour là aussi, ONG et chefs d’Etats ou de gouvernements se rencontreront au One Ocean Summit, le « Sommet de l’océan » qui se tient à Brest du 9 au 11 février. L’occasion de discuter d'un cadre de réglementation de la haute mer… ou de sombrer dans le bluewashing.
Car Emmanuel Macron, qui jure la main sur le coeur vouloir protéger les océans, soutient en même temps l’exploitation minière en eaux profondes. Et, certainement pour qu'on le laisse creuser les sous-sols des eaux territoriales françaises, se fait silencieux sur l'exploitation pétro-gazière en mer hors de nos frontières. Une hérésie quand on sait que la rupture d’un oléoduc de la société privée OCP (Oleoducto de Crudos Pesados) vient de souiller quelque 21 000 m2 en Amazonie équatorienne. Un scandale, quand le golfe de Thaïlande peine à nettoyer les dizaines de milliers de litres de pétrole déversés après la fuite d'un oléoduc sous-marin de la Star Petroleum Refining Public Company Limited le 25 janvier dernier. Une honte, quand TotalEnergie - encore lui - s’implante en Arctique, le climatiseur du monde à l’écosystème fragile, où la température s’élève trois fois plus rapidement que sur le reste de la planète.
Une course au profit, une fuite en avant. Résistons leur. Nous l’emporterons.