Une révolution - L’édito JUSTICE du 28 septembre 2022

Leur image marque notre rétine et notre mémoire d'une trace indélébile. Une à une, elles avancent, dans la nuit, vers des flammes qui chaloupent. Elles ont les cheveux au vent et dans les mains un foulard qui bientôt brûle sous les applaudissements de la foule réunie autour du brasier. Elles, ce sont les jeunes iraniennes qui depuis 10 jours sortent dans la rue comme on monte au front. À leur côté, (et c'est une source de surprise et d'espoir) des hommes qui dans leur sillage refusent l'arbitraire de la loi des mollahs.

L'étincelle fut l'assassinat de Mahsa Amini, 22 ans, morte pour une mèche de cheveux qui dépassait de son voile. Jeune kurde en visite à Téhéran, Mahsa a été arrêtée par la police des mœurs, frappée, tuée. Depuis son enterrement, les manifestations se multiplient. Une génération prend d’assaut les rues du pays malgré la répression, malgré les risques, malgré les blessé·es et les mort·es, 76 à l’heure où j'écris ces lignes. Les mollahs au pouvoir osent affirmer que les vétérans de la guerre contre l'Irak sont morts pour que les femmes portent le voile. Mais voilà que des "gardiens de la révolution » eux-mêmes prennent la parole pour soutenir la révolte en cours. C'est que, partie du droit des femmes à disposer librement de leur cheveux (et de leur corps tout entier), la révolte rencontre tous les affluents de la colère sociale. Il faut garder le souvenir de la révolte de 2009, et des mobilisations précédentes, toujours réprimées dans le sang pour comprendre ce qui se joue. Voilà pourquoi notre solidarité ne doit pas manquer à l'appel. Voilà pourquoi toute cette newsletter est dédiée à la lutte des femmes iraniennes et à la solidarité avec l'Iran. On aurait tort de penser que la lutte en cours se résume à une seule génération ou ne représente que les aspirations de la partie la plus éduquée de la population. Ce qui s’exprime en Iran reflète une lassitude et une colère profondes face à un régime qui étend une main de fer sur le pays. C’est, au fond, un changement de régime que demande le peuple des manifestations. Il est incertain, et la pire répression est à craindre. Mais la peur n'a pas jugulé l'élan démocratique des révoltes en cours. S'est au contraire exprimé un besoin viscéral de sortir de la peur, alors que le gouvernement envisageait il y a quelques semaines le recours à la reconnaissance faciale pour contrôler le port correct du foulard. Cette question du corps des femmes est un pilier du régime des mollahs. Écoutons, les mots de Tara Kangarlou, journaliste irano-américaine, qui livre dans le Time le témoignage glaçant de sa rencontre avec la police des mœurs: « Quiconque a eu à les affronter sait la crainte que l'on ressent à la vue d'un "commando Fati (abréviation de Fatimah)". Leur long voile noir, leur ton agressif (…) Je n'oublierai jamais la terreur inégalée que j'ai ressentie lors de ma seule confrontation avec elles, alors que j'étais adolescente. Je portais un léger gloss et du fard à joues (…) Mon petit ami de 16 ans marchait derrière moi par peur d'une éventuelle arrestation. En un clin d'œil, deux femmes officiers nous ont bloqué le passage pour nous interroger sur notre relation. J'ai nié connaître le garçon ; il a fait de même. » En France, chez nous, les voix ne sont pas assez nombreuses pour soutenir le combat si essentiel qui se joue en Iran. C'est notamment que les combats sont multiples et permanents. Sur une planète en ébullition on ne sait parfois où donner de la tête. À défaut de pouvoir être présent·es à Téhéran, gardons les yeux ouverts pour comprendre, et clamons haut et fort notre soutien total à cette révolution menée par les femmes iraniennes. Leur défaite serait aussi la nôtre.

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Trois questions à... Alp Toker, directeur de l’ONG Netblocks

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LES MEUFS QUI ASSURENT : Mahsa, Gazaleh, et les autres…