Trois questions à... Alp Toker, directeur de l’ONG Netblocks
Alp Toker est le fondateur de NetBlocks.org, une ONG qui axe son travail sur le contrôle d'internet et la transparence numérique. Il est le lauréat 2017 du prix de l'activisme numérique de la liberté de l’Index on Censorship. Pour lui, la censure en ligne et le muselage des réseaux sociaux sont de plus en plus utilisés pour masquer des violations plus graves des droits humains, comme ces jours-ci en Iran, plongé dans l’obscurité numérique.
Le pouvoir Iranien essaie actuellement de museler internet. Quelle est sa stratégie ?
Pour empêcher la population de communiquer entre elle et avec le monde extérieur, l’accès à Internet est gravement perturbé en Iran depuis le vendredi 16 septembre. Nous avons d’abord observé des coupures qui ciblaient particulièrement les lieux des manifestations de masse liées à la mort de Mahsa Amini. Ensuite l'Iran a imposé une sorte de couvre-feu numérique en mettant hors ligne les principaux opérateurs mobiles. Enfin, le pays a restreint voire empêché l’accès aux dernières plateformes internationales de réseaux sociaux et de messagerie qui restaient. Les réseaux sociaux sont déjà largement filtrés en Iran, mais certains services comme Instagram, WhatsApp et Skype restaient accessibles. Ce n’est plus le cas. Ensemble, ces mesures techniques limitent la capacité du public à documenter les violations des droits humains lors des manifestations. Elles ont également un impact sur la vie quotidienne, et sur la capacité des résidents à communiquer avec leurs proches à l'étranger. Le simple fait de faire savoir à ses amis et à sa famille que l'on va bien est désormais un défi.
Comment savez-vous qu’internet est coupé ?
Internet est un réseau mondial, et il peut être surveillé et cartographié parce que chaque utilisateur, et chaque appareil est interconnecté. Chez NetBlocks, nous observons la connectivité, le trafic, les services et les applications, ainsi que leur disponibilité et leur performance en temps réel.
Sur la base de ces indicateurs et de l'accessibilité des points de terminaison et des services, nous dressons un tableau de la disponibilité d’internet partout dans le monde.
Vous vous définissez comme un défenseur des droits humain : internet est-il un droit fondamental ?
Je le crois. En tant que boursier Sakharov du Parlement européen, j'ai eu la chance de connaître et de travailler avec des défenseurs des droits humains dans différentes disciplines, qu'il s'agisse de militants des droits des femmes ou de la liberté d'expression. Cette expérience, ainsi que notre travail à NetBlocks lors d'événements tels que l'invasion de l'Ukraine et les manifestations en Iran, ne me laissent aucun doute sur le fait qu'Internet est un droit humain fondamental. Aujourd'hui, et particulièrement depuis la pandémie, l'accès à internet est devenu la base de tous les autres droits de l'homme. Il doit donc être défendu vigoureusement. Il reste beaucoup à faire pour ancrer ce principe dans le droit international, mais nous devons avancer vers un monde où les gens peuvent rester connectés et informés.