Face au règne de l’immobilisme, le courage de continuer le combat - L’édito JUSTICE du 28 mai 2021
La crise sanitaire est passée par là. Mais qui eût cru qu’elle renforcerait l’idée folle d’une croissance infinie dans un monde fini ? La période est au règne de l’immobilisme.
Regardons du côté du climat, puisque tel était le pilier central du Green Deal, censé réorienter les politiques européennes. J’ai déjà évoqué, dans de précédents éditos, l’indigence de l’accord trouvé sur la loi climat européenne. Celui-ci ne pêche pas seulement par la faiblesse de son ambition, mais aussi par les actes qui l’accompagnent. Il se trouve en effet qu’une fois l’objectif adopté, l’Europe doit passer à l’exercice de la déclinaison concrète.
Or, le Conseil européen des 24 et 25 mai, qui devait trancher l’épineuse question de la « répartition de l’effort » n’a abouti sur... rien. Les états membres délèguent à la Commission européenne la responsabilité de proposer un mécanisme de répartition de l’effort dans la lutte contre le réchauffement climatique. L’enjeu est double : déterminer d’une part ce qui relèvera d’un côté de l’action des états et de l’autre côté de celle du marché (carbone) ; déterminer d’autre part l’effort (contraignant) que devra être celui de chaque pays.
Sur le climat, les états membres ne tombent d’accord que sur leurs désaccords. La solution, dans de tels cas, est constante : le tout-marché. Raison pour laquelle la Commission européenne a déjà proposé d’intégrer les secteurs du bâtiment et des transports publics au marché carbone européen : solutions probablement inefficaces pour le climat, et de manière évidente néfastes à la justice sociale.
Immobilisme et abandon semblent être l’adage du moment de l’Union européenne et de ses états membres, dont la France.
On eût pu croire que l’Union européenne, donatrice de vaccins, soutienne la proposition du Président Biden de lever les brevets sur ces derniers. Que nenni, l’Europe utilisa les transferts de vaccins déjà effectués comme parapluie pour mieux... ne rien changer. Ne tergiversons pas outre mesure, car les chiffres parlent d’eux-mêmes : 75% des vaccins ont été administrés dans seulement 10 pays du monde.
On eût pu croire également que l’Europe sauterait sur la proposition de Joe Biden encore, pour un nouvel ordre fiscal dans le monde.
Avant de poursuivre plus avant, je veux dire les choses clairement : la conversion écologiste de Joe Biden est loin d’être évidente. Elle est même extrêmement fragile à l’épreuve des faits. Ainsi, lors du Conseil de l’Arctique la semaine passée, il a levé les sanctions qui empêchaient jusqu’alors les russes de mener à bien leur projet climaticide de mega-gazoduc Nord Stream 2, visant à relier la Russie à l’Allemagne via la mer Baltique. Après des discours flamboyants sur le climat, le Président américain a bien proposé un Climate Tax Order afin de doter son pays, à son tour, d’une forme de taxonomie climatique des actifs financiers ; mais il rejette en parallèle toute nouvelle règlementation qui s’imposerait aux entreprises afin de sortir des énergies fossiles. Faire de Biden le phare qui illuminerait la voie à suivre pour l’Europe serait une lourde erreur. Nous devons inventer par nous-mêmes et pour nous-mêmes un modèle européen de transition écologique dans la justice sociale.
Nous ne pouvons toutefois nous absoudre de la question du rôle de l’Union européenne dans les reculs de Biden sur les montants et ambitions des plans de relance et d’infrastructures qu’il avait pourtant annoncés. Ces reculs auraient-ils eu lieu, si l’Union européenne avait saisi la main tendue par le nouveau président américain ?!
Je ne suis pas toujours une adepte de la politique fiction, mais la question mérite d’être posée. Car lorsque Joe Biden a proposé de réhausser la taxation des multinationales pour les bénéfices que celles-ci réalisent à l’étranger, permettant à la fois de lutter contre l’évaporation fiscale et de renflouer les poches des états en manque d’argent pour faire face à la crise sanitaire et assurer la transition écologique, l’Union européenne a à nouveau répondu par le silence.
Cet immobilisme de l’Union a bien ses raisons : pour faire bref, l’Irlande ou encore le Luxembourg, n’ont aucun intérêt à voir s’imposer au niveau mondial un niveau de taxation qui réduirait leur attractivité économique et leur capacité à séduire par le dumping fiscal. L’Union est à nouveau empêtrée dans ses désaccords, et immobilisée par des traités qui contraignent à l’unanimité pour toute décision fiscale, et donc économique et sociale. Là encore, la paralysie entraine l’abandon. Le niveau de taxation aujourd’hui sur la table des négociations internationales a chuté à... 15%, soit à peine plus que le taux en vigueur en Irlande. Un niveau inapte à mobiliser les fonds, des deux côtés de l’Atlantique, susceptibles de financer la si urgente transition.
Cet edito n’est pas un coup de déprime. C’est une déclaration de combat, pour dire que ni immobilisme ni abandon ne sont des fatalités, que nous pouvons et que nous devons réaffirmer la force du Politique face au marché. Les écologistes, que j’espère victorieux.ses aux élections régionales françaises comme aux nationales allemandes à l’automne, sont déterminé.e.s à mener la bataille et retrouver la capacité des acteurs publics à influer sur le cours des choses. Mais nous ne sommes rien, dans les institutions, sans celles et ceux qui se mobilisent chaque jour, dans chaque rue et dans chaque ville. Ou dans les tribunaux.
Hier, 6 ans après avoir tranché pour le climat et les droits humains dans l’affaire Urgenda, les juges néerlandais ont décidé de condamner Shell, la 9e entreprises la plus émettrice de gaz à effet de serre au monde, à réhausser ses objectifs climatiques à horizon 2030. Les 17 000 plaignants de l’affaire Shell nous montrent que notre mobilisation n’en finit pas d’emporter des victoires. Tout comme celle qui nous arrive d’Australie tôt ce matin, où la mobilisation de 8 jeunes face aux mines de charbon a poussé le tribunal à décider que désormais, l’État a un devoir de protection des jeunes générations face au réchauffement climatique.
Des victoires, cette newsletter en est pleine. Savourons-les. Elles nous donnent de la force et le courage de continuer le combat.