Trois questions à... ÉDOUARD MORENA, auteur de "Fin du monde et petits fours"
Chercheur, maître de conférences en science politique au University of London Institute in Paris (ULIP), Édouard Morena, déjà auteur de « Le Coût de l’action climatique » publie cette semaine « Fin du monde et petits fours », dans lequel il décrit comment les élites économiques veulent préserver leurs intérêts bien avant le climat… tout en prétendant le contraire.
1- Les 63 milliardaires français ont une empreinte carbone équivalente à celle de la moitié de la population… faut-il se débarrasser des super-riches pour sauver le climat?
Les ultra-riches sont sans conteste un frein à une transition juste. Pas uniquement à cause de leur train de vie carbonifère à base de jets privés et super-yachts. Mais aussi, et c’est ce que je cherche à montrer dans mon livre, parce qu’ils sont mobilisés en faveur d’un projet de transition particulier – le capitalisme vert – qui n’a pas fait ses preuves du point du vue de la réduction des émissions de GES et qui est socialement injuste.
2- Vous parlez de capitalisme vert, expliquez-nous…
Par capitalisme vert j’entends un projet politique axé sur les mécanismes de marché, les investisseurs et les entrepreneurs. Un projet politique qui nous promet réduction d’émissions et croissance infinie, et qui in fine cherche à préserver l’ordre établi en garantissant les intérêts économiques des plus riches. C’est également un projet politique qui assigne un rôle particulier à l’état : celui, comme l’explique l’économiste Daniela Gabor, de « dé-risquer » les investissements privés par le biais de prêts garantis et de partenariats public-privé. Au fond, il s’agit de collectiviser les pertes et de privatiser les profits. Enfin, il y a une dimensions discursive et performative : le capitalisme vert renforce le « mythe de l’entrepreneur » (si bien raconté par Anthony Galluzzo dans son récent ouvrage) selon lequel les riches entrepreneurs-philanthropes sont les mieux à même de résoudre les grands problèmes de notre temps : santé, pauvreté et bien sûr climat.
3- Qu’y a-t-il alors derrière cette philanthropie affichée?
Les ultra-riches se servent de l’outil philanthropique pour promouvoir et « normaliser » le capitalisme vert, et par là-même renforcer leur acceptabilité sociale. Par le biais de leurs fondations philanthropiques, ils diffusent l’idée que le capitalisme vert est l’unique voie possible face à la crise climatique, et nous empêchent d’avoir un débat de fond sur le type de transition que l’on souhaite.