Sus à l’écocide : La première manche est emportée par les écologistes - L’Édito Justice du 29 mars 2023
A l’heure où vous recevrez cette lettre d’info spéciale, je serai certainement dans un train, en route pour battre l'estrade dans des salles encore mobilisées contre la réforme des retraites. Et à l’heure où j’écris ces lignes, la question me taraude : notre pays aurait-il rejoint le cercle des régimes autoritaires, qui, au mépris de la démocratie harcèlent et répriment leurs opposants politiques? Petit à petit, sans qu'on y prenne suffisamment garde, notre pays glisse. En témoigne la tentative de criminalisation des mouvements écologistes, déjà ancienne, mais qui trouve ces derniers temps une vigueur accrue. On dégaine un concept flou, un mot valise suffisamment large pour y jeter pêle-mêle tous les défenseurs et défenseuses du vivant qui se mobilisent au nom de l'urgence écologique et du respect des limites planétaires, sous l'étendard de la désobéissance civile. Ce n'est pas nouveau, malheureusement.
Toujours, celles et ceux qui défendent la Terre et ses droits ont été les cibles des agro-industriels véreux et des régimes autoritaires. Notre combat dérange. Nos batailles bousculent l'ordre établi. Et face à l'âpreté de la lutte, parfois, le sentiment de la démesure des forces en présence a de quoi décourager.
C’est la raison pour laquelle je tenais tant à vous partager, avec cette lettre d’information spéciale, la nouvelle d’une manche emportée contre la destruction de la planète et l'injustice : le Parlement européen vient de requérir, à l’unanimité, l’inscription de l’écocide dans le droit européen. Et ce n’est pas tout : car il requiert aussi que les crimes et délits autonomes contre le vivant non-humain soient condamnés. Autrement dit, outre les crimes les plus graves, les projets qui nuisent à la nature, du projet EACOP en Ouganda aux retenues d’eau dans le marais poitevin, pourraient se voir frappés d’une condamnation pénale... ainsi que ceux qui produisent les pesticides dangereux comme le chlordécone ou le Round’up, répandent les polluants éternels sur et sous la terre et dans l’eau, ou sont responsables de l’émission de tant de tonnes de CO2. Un tournant majeur, une révolution civilisationnelle.
Chico Mendes, Ken Saro-Wiwa, ou encore Berta Caceres, parmi tant d’autres, furent assassinés à cause de leur opposition à des projets et activités qui dépassaient les limites planétaires tout autant qu’ils niaient les droits des populations. Les écoféministes ont mis à jour depuis longtemps ce modèle qui asservit les corps, en particulier celui des femmes, et détruit le vivant. C’est précisément ce qui est en train de changer : en requérant l’application de la dissuasion pénale aux atteintes aux écosystèmes, le Parlement européen ouvre la voie vers un modèle de société qui reconnaît enfin la valeur du vivant en soi, et pour soi, et condamne ceux qui lui portent atteinte.
Vous savez combien ce combat m’importe. Engagée depuis 2012 avec l'organisation End Ecocide on Earth, et depuis 2015 avec Notre Affaire à Tous, je deviens parlementaire en 2019 avec la ferme intention de faire bouger les choses. Alors que le concept même d'écocide était si peu et si mal connu lorsque j’ai entamé mon mandat, nous avons aujourd’hui franchi une étape cruciale. Dorénavant, les états membres ne pourront plus se cacher derrière un « pas aujourd’hui, et pas seul » si souvent brandi ces dernières années. A la question posée par le Parlement européen, les états membres devront répondre -conjointement- oui, ou non. Cela change tout. Le bras de fer est engagé.
Le moment politique. C’est celui de la montée des inquiétudes écologiques, et d’une nouvelle accélération de la destruction du vivant. Menée en complément du combat pour les droits de la nature, l'engagement en faveur de la reconnaissance des écocides a trouvé un écho plus large, au fur et à mesure que la prise de conscience de l'effondrement de la biodiversité et du dérèglement climatique a grandi.
Le moment politique est aussi celui de la réaction de l’Europe à la guerre. L’Ukraine et ses alliés implorent les états membres de reconnaître au plus vite le crime d’écocide, déjà inscrit dans le code pénal ukrainien, de façon à pouvoir traiter des crimes écologiques commis par Vladimir Poutine et son armée. Écoutons-les. Donnons de la force au droit pour que la justice passe. Je le répèterai inlassablement : la justice est la condition de la paix.
Les alliances. Consciente de la nécessité d'entretenir une flamme collective, je décide dès octobre 2020 de mobiliser des parlementaires du monde et évidemment d’Europe, aussi bien du Parlement européen que des parlements nationaux, au sein de l’Alliance internationale des parlementaires contre l’écocide. De son côté, la revendication citoyenne pour la reconnaissance de l’écocide prend de l’ampleur et orne les drapeaux des activistes, à commencer par Extinction Rebellion. La Convention citoyenne pour le climat requiert même l’inscription de l’écocide dans le droit français, une proposition ensuite détricotée et vidée de son sens par le gouvernement. Si visiblement l’enjeu n’est pas encore compris en France, les temps changent.
Petit retour sur les précédentes étapes. Le Parlement appelle d’abord à la reconnaissance de l’écocide au niveau international, en janvier 2021, dans le cadre d’une résolution sur les droits humains et la démocratie dans le monde. C’est important, car contre ceux qui opposent la nature aux humains, il nous faudra toujours rappeler que droits humains et des non-humains sont indissociables. Le Parlement réitère cet appel dans le cadre des discussions mondiales sur la biodiversité puis dans le contexte du rapport d’initiative que j’ai initié afin d’aborder la question de la responsabilité civile et pénale environnementale qui était jusqu’alors un point aveugle du Green Deal. Sauf que cette fois, le Parlement appelle explicitement à la reconnaissance de l’écocide dans le droit européen, sans attendre une décision internationale ultérieure.
En réponse, la Commission européenne propose de réviser enfin la Directive de 2008 portant sur la protection de l’environnement par le droit pénal. Elle y mentionne l’écocide... mais sans encore lui donner une définition et les sanctions afférentes qui permettraient de l’inscrire dans le droit.
En Europe, les parlementaires membres de l’Alliance mobilisent en continu leurs assemblées et leurs gouvernements autour d’une même définition : celle proposée par le Panel international d’experts mis en place par la Fondation Stop Ecocide qui rend ses conclusions en juin 2021. La Belgique emboîte aussitôt le pas, au niveau international comme dans son droit interne ; tandis que les discussions sont engagées dans les parlements espagnols, hollandais, suédois ou encore irlandais. Et au sein du Parlement européen, veux ici souligner et saluer l’engagement total et l’efficacité de Caroline Roose et Saskia Bricmont, qui furent précieuses et déterminantes dans l’obtention de ce résultat.
Nous finissons par emporter l’unanimité, le 21 mars, au sein de la commission des affaires juridiques du Parlement européen, pour inscrire à la fois le crime d’écocide et les infractions environnementales autonomes dans le droit européen ; c’est ce texte qui vient à l’instant d’être validé en plénière, en écho aux 500 000 citoyennes et citoyens européens qui demandent la reconnaissance de l’écocide. L’heure est venue. Il est temps que sonne le glas des crimes impunis.