Toxiques renoncement - L’édito Justice du 25 octobre 2023

Nous nageons dans un océan de toxiques et l’Europe voudrait simplement nous apprendre à y nager. Si nous consacrons aujourd’hui cette newsletter à la question du glyphosate, c’est parce que nous sommes face à un énième reniement, un nouveau recul. La Commission européenne envisage de prolonger de dix ans l'autorisation du glyphosate, cet herbicide pourtant classé cancérogène probable par le Centre international de recherche sur le cancer (émanation de l’OMS) depuis 2015.

Les preuves s'accumulent, à mesure des études scientifiques indépendantes et des procédures judiciaires engagées contre la firme Bayer-Monsanto. Chaque dossier démontre un peu plus que ce pesticide est lié à des cancers, notamment le lymphome non hodgkinien. En 2019, un consortium de chercheurs conduits par Fabiana Manservisi (Institut Ramazzini, Université de Bologne) a ajouté une pierre supplémentaire dans le jardin du glyphosate en suggérant qu’il pourrait être un perturbateur endocrinien.

Mardi, avec le soutien des socialistes et de la gauche, j’ai porté au nom des Verts en Commission de l'Environnement, de la santé publique et de la sécurité alimentaire (ENVI) du Parlement européen une proposition de résolution pour interdire totalement le glyphosate. Elle a été rejetée, grâce à une nouvelle alliance mortifère des eurodéputé·es macronistes, de droite et d’extrême-droite.

Pourquoi ? De quoi notre incapacité à sortir de cette civilisation des toxiques est-elle le nom ? Faut-il encore ici lister les effets délétères du glyphosate, sur la santé (notamment celle de travailleur·euses agricoles), sur la faune et la flore, sur les sols et l’eau ? Il suffit pourtant de voir Lee Dewayne Johnson ou Théo Grataloup pour constater que le glyphosate a causé suffisamment de souffrances et qu’il est grand temps de mettre fin à cette menace toxique.

Si la réduction des pesticides continue de faire débat en dépit des études et des faits, il nous faut nous rendre à l’évidence : c’est sans doute du fait des grands coups de lobbying des firmes de l’agro-chimie. En l’occurrence, le lobbying de Bayer-Monsanto est fortement documenté. En 2017, les journalistes Stéphane Horel et Stéphane Foucart, du Monde, ont révélé l’existence des Monsanto Papers et montré comment la désinformation autour de l’herbicide a été savamment orchestrée par le géant de l’agrochimie. En 2015, la même Stéphane Horel publiait déjà aux éditions de la Découverte un livre édifiant : Intoxication, qui se penchait sur la façon dont les lobbies s’étaient activés dans les couloirs des institutions européennes pour repousser sans cesse la définition - et donc la réglementation - des perturbateurs endocriniens.

J’en viens, à ce propos, à un autre sujet de préoccupation majeure: le report sine die de la réglementation Reach par la Commission européenne. Reach - pour « enregistrement, évaluation et autorisation des produits chimiques » - devait être un des piliers de la stratégie « zéro pollution » de l’Union en répertoriant et en régulant les substances dangereuses présentes dans notre quotidien. Parmi elles : les fameux PFAS, ces polluants dits éternels parce qu’ils intoxiquent pour l'éternité les écosystèmes, et nous empoisonnent au quotidien et pour des générations. La réglementation actuelle est loin d'être suffisante : les limites fixées ne tiennent pas toujours compte des preuves scientifiques, les produits sont interdits au moins dix années après la découverte de leur toxicité, quand certaines substances en sont carrément absentes. La révision de ce règlement au nom barbare est urgente et impérative si nous voulons préserver la santé des citoyennes et citoyens chaque jour plus nombreux à souffrir d’une intoxication chronique.

Une fois de plus, les lobbies ont emporté la manche. Le lobby de la chimie CEFIC, dont fait là encore partie Bayer-Monsanto - mais aussi BASF, Solvay ou Arkema - a ferraillé pour obtenir du Commissaire macroniste Thierry Breton la peau de cette réforme cruciale. Avec succès, puisque le 17 octobre dernier, la Commission européenne annonçait l’abandon tragique de cette initiative visant à faire sortir l’Europe de la civilisation des toxiques.

En écrivant ces mots, je pense aux habitant·es de la vallée de la chimie au sud de Lyon, et en particulier aux riverain·es de l’usine Arkema à Pierre Bénite. À Notre Affaire à Tous qui, avec 9 associations et syndicats dont des organisations agricoles, et 37 victimes, ont obtenu l’examen par la justice pénale des rejets de PFAS dans l’eau par Arkema. Je pense à ces femmes et ces hommes dont le sang présente des taux de perfluorés sept fois supérieurs à la moyenne française. Je pense à cet enfant qui a perdu un testicule à la suite d’une tumeur, alors qu’il n’avait pas deux ans. Je pense aussi à la gifle symbolique qui leur a été à toutes et tous infligée lorsque Thierry Breton est allé se pavaner - au lendemain de l’abandon de la réforme ! - dans l’usine Arkema de Moselle en expliquant que l’industrie de la chimie est clé pour l’autonomie stratégique de l’Union. Toute honte bue.

Non, la pollution n’est pas un effet collatéral inévitable du développement économique. Je le redis : les lois de l'économie ne sont pas au-dessus des lois de la nature. Ni de notre santé. Il nous faut opérer cette bifurcation indispensable où le droit à un environnement sain et le respect du vivant seront la base de nos ambitions humaines, agricoles, et industrielles. Il y a urgence.

Précédent
Précédent

Trois questions à… Sabine Grataloup, exposée au glyphosate pendant sa grossesse

Suivant
Suivant

COMMUNIQUÉ : Au Parlement européen, le front du refus de la transition écologique rejette notre objection au renouvellement du glyphosate